Panier

Légumes trop calibrés, emballages abîmés, loi restrictive qui permettait jusqu’à présent peu d’alternatives au gâchis (raisons d’hygiène, peur des procès…) : chaque supermarché jetait environ 20 kilos de nourriture par jour, soit des milliers de tonnes de produits encore consommables par an. Des chiffres vertigineux, qui ont poussé le gouvernement à réagir au mois de mai dernier, face à ce scandale alimentaire.

Après la Belgique en 2013, qui jouait alors un rôle de précurseur (lire l’article sur Consoglobe), la France vient d’adopter une nouvelle loi visant à stopper le gaspillage alimentaire au sein de la grande distribution. Voici les grandes lignes de ce texte, ainsi que ses limites.

Enfin, nous verrons quel impact cette loi aura sur nos pratiques de glaneurs des villes. Dumpster-divers, devons-nous changer notre mode d’alimentation? Ou pouvons-nous et devons-nous poursuivre cette lutte politique?

Le contexte :

Selon la F.A.O. (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation), un tiers des aliments produits dans le monde terminerait sa course dans les poubelles, soit plus d’un milliard de tonnes de nourriture.

En 2012, le Parlement Européen annonçait déjà son objectif d’ici 2025 : réduire de moitié le gaspillage alimentaire.

Jusqu’au mois dernier, il était coutume pour les supermarchés de déverser des produits toxiques dans les poubelles, afin d’empêcher toute consommation des aliments jetés. Si l’eau de javel n’était pas la règle fixée par la direction, les cadenas et les locaux sécurisés s’assuraient de mettre à l’abri ces trésors des bennes.

Certains lieux restaient toutefois accessibles aux glaneurs, qui pouvaient témoigner des quantités astronomiques de nouriiture qu’ils y récupéraient.

Glanage alimentaire

Dumpster-diving en Italie

La nouvelle loi :

Le jeudi 21 mai dernier, l’Assemblée Nationale a voté à l’unanimité une loi sensée diminuer le gaspillage alimentaire. De ce texte, il faut retenir :

  • L’exigence pour la grande distribution de mieux gérer ses stocks
  • L’interdiction de jeter de la nourriture encore consommable
  • L’obligation de réutiliser les invendus au travers de dons, ou pour l’alimentation animale, le compost et la valorisation énergétique
  • La contrainte pour les supermarchés de plus de 400m², de signer des conventions de partenariat avec une association caritative, afin d’organiser la redistribution
  • Des amendes pour les contrevenants de 450€ (au départ, il était prévu des sanctions lourdes allant jusqu’à des peines de deux ans d’emprisonnement et 75000€ d’amende)
  • Des actions d’éducation et de sensibilisation au gaspillage, prévues dans les nouveaux programmes scolaires

Les autres points positifs :

La loi est simple à résumer : elle interdit aux supermarchés de jeter de la nourriture encore consommable. Pour autant, redistribuer ces quantités énormes – ou les transformer à des fins de compost – n’est pas une mince affaire.

Tout reste donc à mettre en place (nous le verrons ci-après) : organiser les réseaux de redistribution et de transformation des produits, former les professionnels et sensibiliser les consommateurs.

Il ne faut toutefois pas négliger la portée symbolique de ce texte, qui donne l’exemple aux consommateurs et les pousse à agir de façon plus citoyenne, et qui montre au reste du monde que notre pays tente de réagir face à ce déplorable gâchis.

C’est un premier engagement qui lutte contre les dérives de notre société de surconsommation, tout en mettant l’accent sur des valeurs plus solidaires et éco-responsables.

C’est aussi une meilleure reconnaissance du travail des producteurs, qui redonne de la valeur aux produits qu’ils cultivent.

Champs de Beauce juste avant l’été

Pour info, petit rappel :

Ce texte de loi fait suite à un programme anti-gaspillage lancé en 2013. Le gouvernement mettait alors en place un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire (à lire ou télécharger ici), comprenant des mesures de prévention et de sensibilisation, comme une journée nationale et un prix anti-gaspi, le remplacement de la trop stricte DLUO par « à consommer de préférence avant », des formations spécifiques dans les écoles hôtelières…

Les freins et les limites :

L’application de la loi est sa première limite. Il nous faut aujourd’hui laisser passer un peu de temps pour effectuer un premier bilan. Nous saurons alors si les associations caritatives sont devenues les nouvelles poubelles de la grande distribution. En effet, ces dernières doivent être en mesure de stocker ces invendus, et ne doivent pas devenir les dépotoirs des supermarchés, forcées d’engranger des tonnes de nourriture qu’elles devront trier puis qu’elles ne pourront gérer ni redistribuer. Cela nécessitera des ressources logistiques plus importantes (locaux pour stocker, chambres froides…), qui auront un coût.

Par ailleurs, faire évoluer les modes de production et de consommation permettrait de résoudre le problème à sa source, et non après coup. La F.A.O. estime que dans le monde, 54% du gaspillage provient de l’amont de la chaîne (production, manutention, stockage après récolte), contre 46% en aval (transformation, distribution, consommation). Réduire le gaspillage alimentaire à sa source semble être un point crucial, qui pourtant n’est pas mis en avant dans cette nouvelle loi.

Enfin, le problème du gâchis a été soulevé à l’échelle industrielle. Il faut toutefois savoir que la grande distribution n’est pas à l’origine de la totalité du gaspillage alimentaire, loin de là. Les chiffres se contredisent, sur le territoire français, on estime sa responsabilité à 5% par ici, 11% par , ou encore 58% là-bas. La solution nécessite donc aussi de changer nos propres habitudes de consommation. Les français jettent en moyenne 20 à 30 kilos de nourriture par an, ce qui est vertigineux lorsque l’on multiplie par le nombre d’habitants. Nous n’avons pas les bonnes pratiques culturelles (non-utilisation du doggy bag, recherche des fruits et légumes zéro défaut…), et nous devons travailler à faire évoluer les mentalités. Cela nécessite un effort supplémentaire de la part du gouvernement, par le biais de politiques publiques plus engagées, tout comme de la part de chacun, au travers de volontés individuelles qu’il faut continuer de façonner.

Campagne anti gaspillage

Affiche de la campagne anti-gaspi du Ministère de l’agriculture

Ce qui est certain, c’est que cette loi n’est qu’un premier pas dans la lutte contre le gaspillage, et qu’il en faudra bien d’autres pour enrayer ce phénomène scandaleux. Pour autant, n’allons pas critiquer avec trop de virulence une initiative qui va dans le bon sens, malgré ses limites.

Il est important de garder à l’esprit la portée positive de cette loi. Après des affaires comme celle de Montpellier, le climat politique et médiatique a tout de même évolué. Les retombées ne seront peut-être que symboliques, mais c’est un premier pas vers la construction d’un système plus responsable, et d’une société plus citoyenne.

Vers la fin du dumpster-diving en France?

Alors, amis glaneurs, que va-t-il se passer dans les prochains mois, dans les parkings arrières de nos supermarchés fétiches? Tout d’abord, l’application de la loi prendra du temps, beaucoup de temps. En attendant la mise en place concrète d’un réseau de redistribution, les produits alimentaires ne vont pas s’envoler. Par ailleurs, au vu du montant symbolique de l’amende pour les gérants contrevenants, nous pouvons penser que beaucoup d’entre eux ne joueront pas le jeu. Le glanage alimentaire auprès de la grande distribution a encore – regrettablement – de beaux jours devant lui.

Ensuite, cette nouvelle loi concerne les supermarchés de surface supérieure à 400m². Pour les autres (minimarkets, boutiques d’appoint, restaurants, fastfoods, commerces de bouche…), rien ne les incite à modifier leur mode de distribution. Là encore, nous pourrons continuer de glaner autant que nous le souhaiterons, ou nous rabattre sur le table-diving.

Mais ce soir-là, je réalisais que ces problèmes n’étaient que les symptômes d’un malaise global et qu’ils n’étaient pas indépendants les uns des autres, comme je l’avais cru précédemment. Ils avaient tous un point commun : notre déconnexion de ce que nous consommons. Si chacun d’entre nous devait produire sa propre nourriture, nous n’en gâcherions pas un tiers (comme c’est le cas aujourd’hui au Royaume-Uni). Si nous fabriquions nous-mêmes nos tables et nos chaises, nous ne les jetterions pas lorsque nous changeons la décoration de notre appartement. Si nous voyions le regard d’un enfant qui, sous l’œil d’un soldat, coupe le vêtement que nous envisageons d’acheter dans un magasin du centre-ville, nous arrêterions le shopping sur-le-champ. Si nous étions témoins des conditions dans lesquelles on met à mort un cochon, nous perdrions sûrement quelques kilos. Si nous devions nettoyer nous-mêmes notre eau potable, nous cesserions de chier dedans.

Mark Boyle, L'homme sans argent

Continuer de récupérer ces invendus, perdurer dans le temps, poursuivre les actions de sensibilisation, et faire preuve de solidarité avec ceux qui en ont besoin portent donc toujours autant de sens. Pour aller plus loin, vous pouvez d’ailleurs lire mon article complet sur le glanage alimentaire.

Tout cela reste un acte politique fort, nécessaire à la construction d’un système plus juste et plus responsable, car l’objectif zéro gaspillage alimentaire est encore loin.

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