Panier

Dernièrement, José et moi avons traversé le désert de Gobi en Chine, toujours le pouce en l’air. Notre périple au sein de l’Empire du Milieu ne s’est toutefois pas arrêté là, puisque nous avons ensuite dû parcourir plus de 1500 km pour rejoindre Kashgar puis la frontière kirghize.

Ainsi, nous avons eu la chance de vadrouiller à travers les Monts Célestes, mais également celle de nous plonger au cœur du Xinjiang, province qui tranche fortement avec le reste du territoire chinois. Nous avons ensuite apprécié une longue pause à Kashgar, avant d’atteindre enfin et toujours en auto-stop le Kirghizistan

Les Tian Shan, ou les fascinants Monts Célestes :

Nous quittons Ürümqi, capitale du Xinjiang, et descendons rapidement plein Sud. Après seulement quelques dizaines de kilomètres, les paysages commencent à se transformer : collines et vallées apparaissent, un vent frais se lève et des vaches surgissent, paissant paisiblement une herbe bien grasse que nous n’avions plus côtoyée depuis une éternité. Ce retour à la verdure nous enchante et nous nous retrouvons subitement happés par les hauteurs des montagnes qui s’élèvent face à nous : les Monts Célestes semblent nous appeler et nous répondons sans détour à l’invocation.

Très vite, nous nous retrouvons pourtant bloqués entre deux virages, un violent éboulement venant de se produire. Nous n’avons d’autre choix que celui de patienter docilement : deux tractopelles s’affairent à libérer la voie et nous en profitons pour pactiser avec tout un convoi de motards kazakhs.

voyage dans les tian shan en chine

Comment refuser une invitation à nous joindre à ces drôles de voyageurs ?

Entre deux morceaux de guitare et quelques parts de pastèque juteuse, nous savourons ces minutes bienvenues de fraternité et les longues heures d’attente passent finalement inaperçues. D’ailleurs, aussitôt la piste déblayée, nous enfourchons deux des bécanes et nous lançons dans un road trip secrètement fantasmé. Le vent en poupe, j’admire mon biker attitré et ses airs un peu rudes, qui tentent de masquer vainement son caractère de gentleman. Le baroudeur qui achemine José est doté des mêmes qualités, son deux roues en revanche se débine en cours de route. Heureusement, les Kazakhs ne manquent pas de ressources, ils arrêtent ainsi le premier engin pétaradant du coin et José grimpe alors derrière le motard stupéfait.

Plus tard, nous partageons le repas avec mon chevalier casqué : des nouilles au mouton pimentées, que nous aspirons le plus bruyamment possible afin de respecter les règles locales de politesse, tout en lapant de petites gorgées de thé brûlant.

Après notre départ, nous sommes conviés aux abords d’une yourte à une quotidienne et immanquable séance de selfies. Trois hommes nus (mais cachés sous leur couette) nous saluent à travers l’entrebâillement de la porte, tandis que le reste de la communauté fait littéralement la queue pour nous tirer le portrait. Bons joueurs, nous répliquons d’un cliché souvenir, ce qui récrée vraisemblablement toute la rigolarde bande de Ouïghours.

peuple ouïghours en chine

Souriez, vous êtes filmé !

Ce soir, nous dormons sous les étoiles et sans bruit, ce qui en Chine fait figure d’exception. Seuls les clapotis d’une rivière voisine nous arrachent à notre solitude et, plongés dans ce calme absolu que l’on ne rencontre plus qu’au creux des montagnes, nous passons les heures les plus douces qui soient.

La nuit était pourpre et le cri du silence ressemblait à une cataracte de diamants qui pénétrait comme un liquide dans nos oreilles. On pouvait y puiser la paix pour mille ans.

Jack Kerouac, Les clochards célestes

Au matin, tout juste après avoir plié notre campement, nous sautons à l’arrière d’une remorque noire de crasse. Le conducteur accepte de nous transporter un peu plus près du col et lorsque l’on joue du pouce, on revoit vite ses exigences à la baisse, question de karma. Les tongs dans le fumier, les sourires crispés et les sacs toujours sur le dos – nous sommes alors heureux de voyager léger – nous encaissons les secousses comme nous le pouvons. Peu engagés à l’idée de passer la journée entière debout dans le purin, nous finissons tout de même par remercier notre chauffeur et attendons patiemment la venue d’un autre véhicule.

C’est un poids lourd qui nous offre le luxe de voyager à travers les Tian Shan, avec une vue panoramique. Depuis le spacieux habitacle du bahut, nous nous émerveillons à 360°. Nous n’avons d’autre conversation que celle de nous extasier constamment face à ces paysages inviolés, et notre nouvel ami semble ravi que nous apprécions tant cette virée vertigineuse.

tian shan chine

Un petit bout de route, au cœur des Tian Shan…

La piste escalade le flanc rocheux à n’en plus finir, épousant ses coudes et éludant ses embuscades. Nous atteignons péniblement les 4280 mètres d’altitude, le chargement du semi-remorque ne nous permettant pas d’accélérer dans les nombreux raidillons. Nous avons ainsi le temps d’adresser nos prières plus d’une fois, à qui voudra bien les entendre : nous déplorons en effet l’absence de rambardes de sécurité, mais ne pouvons qu’être fascinés à la vue de yourtes aux toits encore fumants, de chevaux laissés en liberté et d’un glacier quasi phosphorescent. Pourtant, en contrebas, un chauffeur routier moins chanceux que nous a terminé fatalement sa course : de quoi nous faire réfléchir sérieusement aux difficultés à venir.

Nous terminons notre traversée des Monts Célestes en faisant une épatante rencontre de plus. Une famille nous fait grimper à l’arrière de son pick-up, et nous offre de plonger la main dans un sac débordant de pain au sésame et au cumin. Toutefois anxieux à l’idée que, silencieusement, nous pâtissions d’une faim inextricable, ces chics voyageurs se garent sur le bas-côté et décapitent en bonne et due forme un melon charnu. Quelques coups de machette plus tard, poisseux mais repus, nous nous essuyons le menton après ce déjeuner sur le pouce tombant à pic. J’avais déjà remarqué que la moitié de la planète fourmillait de personnes formidables, je découvre à présent qu’il en est de même dans la seconde partie.

voyage dans les monts célestes

Photo de famille / Crédits @José Couprie

Le Xinjiang, une traversée sous haute tension :

Nous nous trouvons toujours dans la province chinoise autonome du Xinjiang, et notre arrivée officielle en Asie Centrale semble toujours lointaine. Après cette varappe motorisée, nous rescendons les deux pieds sur terre, notre affaire se corse et les tracas se multiplient. Bien que faire du stop soit souvent une porte ouverte exceptionnelle sur le monde, la pratique se révèle être parfois compliquée. Dans cette région un peu particulière, nous aurons ainsi maintes fois l’impression de marcher sur des œufs.

Pour gagner Kashgar, nous rasons de près le front Nord du désert du Taklamakan : un retour à l’aridité dont nous nous serions bien passés, sans compter les nombreux check points et l’omniprésence policière. En milieu de journée, nous appontons par hasard dans une ville mystérieuse qui n’apparaît pas sur nos cartes – nous n’en connaîtrons jamais le nom, ce qui n’est pas faute de l’avoir demandé. Ainsi, aussitôt après avoir débarqué d’une voiture arrivée à sa destination, des hommes du SWAT las de leur monotonie quotidienne nous sautent dessus, confisquant nos passeports et nous embarquant fissa au commissariat le plus proche. Souhaitant toutefois mieux nous faire passer la pilule, ces derniers nous offrent deux glaces à l’eau que nous suçotons à l’arrière de leur blindé : drôle de coutume de bienvenue.

Une fois bloqués entre quatre murs, les officiels semblent s’interroger : ces deux vagabonds sont-ils des espions déguisés, ou bien de simples touristes perdus ? Notre nonchalance ainsi que notre état repoussant et poussiéreux finira tout de même par convaincre la majorité, et les hommes en uniformes nous laisseront repartir après nous avoir dotés de vivres suffisantes pour tenir un siège.

Nos mouvement étant restreints, nous acceptons de grignoter quelques chaussons fourrés au mouton et aux oignons dans le poste de police (vidé de tout visiteur pour l’occasion), nous sourions tant bien que mal lors de l’incontournable photo souvenir, et nous ne rechignons pas de monter dans un bus qu’un homme du RAID a payé pour nous convoyer vers la ville la plus proche. Bref, nous ne commettons aucun faux pas, malgré notre grande stupéfaction. Entre-temps, j’ai largement et discrètement profité des sanitaires pour me débarbouiller – aux frais du commissaire, juste parce que ce qui est pris n’est plus à prendre.

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Monter dans un fourgon de la police chinoise : fait

Circonspects, nous poursuivons ainsi notre route et revivrons dans les jours à venir d’autres expériences similaires, plus que déroutantes. Nous qui rêvions d’une Route de la Soie peuplée de chameaux, nous voici pris aux griffes d’une police qui ne lésine pas sur les moyens employés. Chaque rue compte d’ailleurs son lot de vigiles ou de membres du SWAT, tous casqués et vêtus de gilets pare-balles. Ici, pas la moindre boutique n’échappe à la règle : des portiques et scanners veillent à une constante sécurité. Et pas le moindre angle de vue n’échappe à l’œil du maître : d’indénombrables caméras s’assurent de l’enregistrement de chaque scène de rue. Enfin, des commissariats fleurissent à travers le paysage urbain, ponctuant ainsi nos virées hasardeuses d’inspections réglementaires. Cela complique un peu nos affaires : de plus en plus de conducteurs redoutent de nous prendre en auto-stop, ayant peur que cela puisse leur créer de fâcheux problèmes. Nous sommes donc loin des promenades bucoliques du début de notre séjour en Chine et avons hâte de quitter le Xinjiang.

Kashgar, un vent d’Asie Centrale :

Fort heureusement, nous vivons le lendemain une de ces magnifiques rencontres, de celles qui redonnent au voyageur fatigué un sourire étincelant. Un jeune ouïghour, accompagné de sa maman, décide de nous prendre sous son aile lors d’une courte halte à Kuqa. Il nous conduit au grand bazar et nous décidons de partager ensemble un dîner, qu’il se charge de commander.

Au menu ce soir, ça sera outre du melon et du jus de mûres fraîchement pressées, du cœur ainsi que du poumon de mouton, servis avec des boyaux fourrés au riz. Le tout imbibé d’une sauce pimentée : une grande première gastronomique. Si le goût est plutôt acceptable pour nos palais occidentaux capricieux, José et moi souffrirons dès le lendemain d’une tourista remarquable qui nous vaudra de nombreux arrêts furtifs, derrière les glissières de sécurité de l’autoroute menant à Aksou. De là, nous tenant les intestins à pleines mains, nous filerons avec hâte vers Kashgar, étape importante de notre itinéraire le long de la Route de la Soie.

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Les bazars du Xinjiang : des saveurs incontournables

Si je ne devais retenir qu’une ville qui m’ait plu en Chine depuis notre arrivée dans le Guangxi, cela serait sans hésiter la noble Kashgar. Il est dit, et peut-être à juste tire, qu’on ne parcourt pas vraiment la Route de la Soie sans y faire étape. Nous sommes arrivés sur place éreintés, après avoir passé une nuit de plus entre autoroute et voie ferrée, au milieu de la poussière et des moustiques. Campant près d’une eau croupie, nous avons de plus essuyé une tempête mémorable dont notre fragile tente se souviendra longtemps.

Nous avons décidé de séjourner près de dix jours à Kashgar, et si notre visa n’avait pas expiré sous peu j’aurais souhaité y rester un peu plus.

Kashgar, c’est une pleine bouffée d’Asie Centrale, et ce avant même de franchir la frontière kirghize, toute proche. La cité, située en plein territoire ouïghour, ne ressemble aucunement au reste de l’Empire du Milieu. Bien que la situation actuelle soit loin d’être enviable pour bon nombre de natifs – comme dans le reste de la province du Xinjiang – la célèbre ville du jade ressemble toujours à une immense caverne d’Ali Baba, ouverte sur l’extérieur.

voyage à kashgar en chine

Une partie de la vieille ville de Kashgar

Cette étape légendaire de l’ancienne route commerciale n’a rien perdu de son charme qui a construit sa renommée, et il apparaît impossible de ne pas apprécier son côté pittoresque, qui s’étend à travers toute la veille ville. Flânant du grand bazar au marché nocturne, en passant par les ruelles en terre animées de l’ancienne citadelle, nous n’avons ainsi pas vu les jours défiler.

Pour le moment, je vous laisse seulement imaginer des étales de pastèques et de melons de plusieurs kilos pièce, des fruits secs et des amandes décorant les moindres échoppes, des volutes de mouton grillé s’élevant d’un bout à l’autre de la cité, des pains parsemés de sésame ou de pavot tout juste sortis du four, des œufs de caille, de poule et même d’autruche prêts à être dégustés, des gâteaux au miel et aux noix narguant les plus exigeants gastronomes, et des serpents séchés attendant d’être plongés dans une bouteille de vodka : de quoi ravir tous les fins gourmets de Chine et d’ailleurs.

Un beau soir, hésitant entre tous ces mets exceptionnels, je goberai pour ma part un œil de mouton, parce que nous voici rendus aux confins de deux mondes et que l’occasion ne se représentera plus.

manger un oeil de mouton

José semble m’envier grandement, non ?

Désormais, nous visons le Kirghizistan et ses promesses de nature envoûtante. D’ici peu, nous prendrons la route d’Osh, nostalgiques de voir nos deux mois passés à traverser la Chine en auto-stop se terminer, mais impatients de nous plonger corps et âmes, enfin, en pleine Asie Centrale…

Pour aller plus loin, je vous invite à en savoir un peu plus sur ma philosophie d’auto-stoppeuse. Si vous le souhaitez, vous pouvez également retrouver toute notre aventure le long de la Route de la Soie, ainsi que mes meilleures photos de Chine, et l’intégralité de mes récits de voyage ou ceux spécifiques à mon tour du monde !


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  • Françoise Clerval dit :

    Bonjour !
    Merci pour votre récit !
    Je tente d’organiser pour l’été prochain la suite de mon voyage en solitaire sur la route de la soie. Après l’Iran et L’Ouzbekistan j’envisage de traverser le Kirghizistan et de descendre vers Kahsgar. Ce que vous écrivez sur cette ville me rassure, car je ne cesse d’entendre dire que tout y a été détruit et que tout n’est que béton.
    Par ailleurs vous dites que la route nord qui longe le désert du Taklamakan ne vaut pas la peine. Est-ce le cas aussi pour la route sud ?

    Merci pour votre réponse !
    Et bonne route !
    Très cordialement,
    Françoise Clerval

    • Bonjour Françoise, et merci pour votre message. Il est vrai qu’une partie de la ville de Kashgar s’est aujourd’hui grandement modernisée. Toutefois, d’un point de vue très personnel et qui n’est probablement pas objectif, j’ai adoré mon séjour sur place, et si vous y séjournez également, j’espère que vous serez séduite à votre tour ! Concernant les routes dont vous parlez, j’étais en stop, et sous un soleil de plomb et après plus d’un mois de désert (Gobi juste avant) et quelques mois de chaleur asiatique, je crois que là non plus je n’étais pas très objective… Je n’ai pas emprunté l’autre itinéraire que vous évoquez, je n’ai donc aucune idée de quelle est la plus belle route. Tout dépend aussi des rencontres que l’on y fait et des moments que l’on y vit, j’espère dans tous les cas que vous effectuerez un superbe voyage, et que vous rentrerez ravie. Bon vent à vous !

  • papi dit :

    Une traversée SOUS HAUTE TENSION …
    me voila donc AU COURANT de tes pérégrinations
    à la périphérie de l’Empire du milieu …..
    ouah ! dur dur
    mais bravo pour l’oeil de mouton
    bonne route pour le Kirghizistan

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