Panier

Stocker plus pour pouvoir vendre plus, telle pourrait être la devise de la grande distribution. Elle l’a bien compris, il est plus rentable financièrement de commander d’énormes quantités de nourriture – quitte à en jeter une bonne partie  – que de s’approvisionner au minimum. C’est le revers de la médaille : diminuer le gaspillage alimentaire signifierait réduire l’immense offre de choix que l’on nous propose au détour des rayons.

Ainsi, nous exploitons les ressources de la planète – et des pays en développement, où nous transformons le paysage naturel et modifions le tissu social – pour nous débarrasser d’une grande partie de la production dans nos bennes à ordures. Ainsi, nous élevons des animaux dans d’abominables conditions puis les débitons en morceaux, pour voir nombre d’entre eux trouver enfin la paix dans nos poubelles. Ainsi, nous perdons certaines de nos traditions et nous éloignons peu à peu de nos valeurs, pourtant ancrées depuis des générations. C’est presque ironiquement que nous pourrions nous remémorer les « finis ton assiette » de nos grands-mères.

Quel sens donnons-nous aujourd’hui à notre alimentation? Quelles valeurs soutenons-nous lorsque nous remplissons notre frigo? Quel message transmettons-nous à nos enfants? Qu’en pensent les 805 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde?

Toutes ces questions morales m’ont poussée à devenir freegan avec le temps. J’ai commencé l’aventure en apprenant l’art du table-diving (ou plonger à table), et peu à peu, grâce aux rencontres que j’ai pu faire sur ma route, j’ai découvert le dumpster-diving ou glanage alimentaire : plonger dans les poubelles afin de sauver des déchets pourtant tout à fait comestibles.

Pour ceux qui souhaitent s’éloigner de cette culture du jetable, ou pour ceux qui voudraient se nourrir en voyage à moindre coût, cet article est pour vous. Vous y trouverez tous mes conseils pour débuter, ainsi que de nombreuses informations utiles…

Glanage alimentaire en Norvège

Glanage alimentaire en Norvège

Où et comment faire?

Plusieurs d’entre vous m’avez écrit afin de savoir à quel endroit récupérer de la nourriture, et comment s’y prendre. Voici donc quelques pistes…

Les lieux :

  • Les marchés de fruits et légumes : à l’heure de la clôture, les produits invendus et en fin de vie sont souvent dans des cagettes sous les stands des commerçants (demandez-leur gentiment). Sinon, vous les trouverez directement dans les poubelles.
  • Les épiceries : elles sont souvent plus accessibles que les supermarchés (pas de vigile, de local fermé à clefs, de caméras…), il ne vous reste plus qu’à tenter votre chance.
  • Tous les commerces de bouche (boulangeries, snacks, pizzerias…) : partout où vous pourriez acheter à manger, vous pouvez trouver de la nourriture dans les poubelles. Cette dernière sera plus ou moins accessible et protégée des autres détritus. Il n’y a qu’à soulever le couvercle de la poubelle à l’heure de la fermeture pour savoir si vous avez fait mouche. Toutefois, sachez que beaucoup de petits commerçants vous donneront quelques denrées censées être mises au rebut si vous leur demandez poliment. Présentez-vous, expliquez votre démarche, et respectez le fruit de leur travail : l’idée n’est pas de manger gratuitement – au détriment de leur salaire – mais bien d’éviter de jeter de la nourriture à la poubelle.

Les supermarchés :

Depuis quelques années, les grandes surfaces protègent généralement l’accès à leur local à ordures. Officiellement pour des raisons sanitaires (peur des intoxications alimentaires), mais probablement officieusement pour des motivations économiques. C’est pourquoi nombre d’entre elles enferment leurs bennes dans des locaux fermés sous clefs, ou cadenassent directement les poubelles. Certaines avaient pour habitude de déverser des produits chimiques sur les aliments afin de les rendre inconsommables, c’est désormais interdit en France. Également, pour les magasins supérieurs à 400m², une loi prévoit des sanctions pour toute entreprise ne favorisant pas la redistribution des invendus aux associations caritatives. Une avancée loin d’être suffisante, mais un premier pas tout de même dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Il est toujours possible de récupérer de la nourriture aux abords des supérettes, c’est plus ou moins facile selon la marque choisie et le pays concerné. Il existe un outil en ligne pour connaître les bons spots selon le lieu : Trashwiki. Ce site fourmille d’informations et vaut le coup d’œil.

Sachez qu’il est plus simple de glaner dans les petites villes ou dans les banlieues, les supermarchés y sont moins protégés qu’en centre-ville.

glanage alimentaire norvège

Encore une benne pleine à craquer à l’arrière d’un supermarché norvégien

Les techniques :

La meilleure façon de procéder est d’ouvrir les bennes se trouvant sur votre chemin, vous verrez bien ce que vous y trouverez! Cela étant dit, il existe quelques techniques qui ont fait leurs preuves. Les voici :

  • Respecter : il est primordial de laisser les lieux propres derrière vous. Cela va sans dire, mais c’est toujours mieux en le disant!
  • Pêcher : j’ai connu un voyageur en Italie, qui partait à la pêche avec une épuisette, afin de ne pas avoir à plonger au fond des bennes. Une idée que j’ai retenue, cela paraît loufoque au premier abord, mais c’est en réalité très pratique.
  • Transvaser : vider le contenu d’une première poubelle dans une autre, et ne conserver que les produits choisis.
  • Surveiller : les heures de fermeture sont souvent les meilleures, puisque les employés sortent généralement les bennes à l’extérieur.
  • Être à l’affût : les périodes de fêtes (Noël, St Valentin, fête des mères…) ont été à l’origine de mes meilleures trouvailles. Comme tous les aliments, les produits de luxe ne font pas exception, et bon nombre d’entre eux terminent également dans les poubelles.
  • Tenter le coup : vous n’imaginez pas tout ce que l’on peut trouver dans les poubelles. Au-delà de la nourriture, il est possible de dénicher tout et n’importe quoi. Un jour, j’ai trouvé une piscine gonflable par exemple.
Découverte d'une piscine, glanage dans un magasin de jouets, en Italie

Découverte d’une piscine, glanage dans un magasin de jouets, en Italie

Le matériel :

Vous n’aurez pas besoin de beaucoup d’équipement pour faire du dumpster-diving. Toutefois, je vous recommande d’emporter avec vous un sac à dos ou un petit caddie à roulettes – le vôtre, et non pas celui du magasin – pour rapporter vos trouvailles. Lorsque l’on en arrive au point de ne pas pouvoir transporter (ou consommer) la pêche du jour, croyez-moi, la pratique prend alors tout son sens.

Prenez aussi quelques sacs plastiques pour protéger le fond de vos cabas, cela sera utile si les emballages des aliments ne sont pas très propres, ou si les fruits et légumes sont un peu abîmés. Une lampe de poche sert souvent, si possible frontale, surtout la nuit lorsque les lieux sont sombres. Choisissez des vêtements qui ne craignent pas et qui sont passe-partout. Enfin, certains glaneurs emportent une pince pour couper les cadenas. C’est évidemment interdit, à vous de décider jusqu’où pousser votre militantisme.

Les pays :

En restant longtemps dans une même ville, il est plus simple de connaître les lieux où faire du glanage alimentaire. En voyage, c’est plus difficile : nous ne connaissons pas les lieux, les horaires de ramassage des ordures, la législation locale…

Certains pays se prêtent plus que d’autres à cette pêche urbaine. Ainsi, en Norvège, en Italie ou en Espagne par exemple, c’était un jeu d’enfant que de trouver à manger. En Écosse ou en Angleterre, j’ai eu beau chercher et chercher encore, je suis bien souvent rentrée bredouille. J’ai même eu droit à quelques altercations avec un gardien de sécurité, à qui j’ai répondu, un peu surprise : I’m really sorry but I don’t speak english... Au moins, j’ai bien fait rire ma partenaire de crime. Je vous le conseille à nouveau car je ne ferai pas mieux que les membres de cette communauté, le site Trashwiki est un outil réellement performant, notamment pour les voyageurs qui ne sont que de passage dans un lieu.

Glanage alimentaire en Norvège

En Norvège, parce qu’on peut être glaneur et romantique…

Hygiène et santé :

Les poubelles, c’est sale. Manger la nourriture glanée de cette manière en rebute donc plus d’un. Toutefois, sachez que la plupart des produits que vous trouverez seront encore sous plastique. Nettoyez ou enlevez les emballages avant de ranger la nourriture dans votre réfrigérateur.

Faites la distinction entre la DLC (Date Limite de consommation) et DLUO (Date Limite d’Utilisation Optimale). La DLC concerne les produits sensibles comme la viande, le poisson, les laitages… Il est déconseillé de consommer ces produits une fois la date arrivée à terme, car il existe un risque de tomber malade (intoxication alimentaire). Si vous avez décidé de voyager végétarien ou vegan, la question se pose moins. La DLUO se rapporte quant à elle aux qualités gustatives et nutritionnelles d’un produit, et non à sa potentielle dangerosité. Ainsi, vous pouvez tout à fait manger des conserves, des légumes secs ou du sucre par exemple, et ce bien après la DLUO passée.

Soyez donc vigilants avec les produits délicats, ne négligez pas les temps de cuisson, et dans le doute ne consommez pas un aliment qui pourrait vous rendre malade. Enfin, pensez à nettoyer correctement vos fruits et légumes avant de déguster votre soupe ou salade de fruits!

Glanage de légumes au marché de Bayonne

Glanage de légumes au marché de Bayonne

La première fois :

Comme toute première fois, cela peut paraître un peu déroutant de se lancer dans l’aventure. Je vous conseille de débuter à plusieurs, c’est toujours plus agréable de partir pêcher entre amis plutôt que seul. Si personne ne souhaite vous suivre, vous trouverez sur Internet de nombreuses communautés (notamment tous les groupes de l’organisation Food not bombs) où d’autres glaneurs recherchent des co-équipiers.

Vous découvrirez vite que bien au-delà du fait de se nourrir gratuitement, il existe un véritable état d’esprit communautaire, basé sur le partage et la redistribution des aliments. La plupart des glaneurs agissent pour des raisons éthiques et défendent des valeurs solidaires. Consommer, acheter, manger : comme beaucoup le disent déjà, c’est une autre façon de voter et de faire entendre sa voix.

Avant de terminer cet article, je souhaitais préciser que la grande distribution n’est pas la seule fautive dans le gaspillage alimentaire que je dénonce dans mon introduction. Je pense sincèrement qu’à toutes les échelles de notre système, du gouvernement au consommateur, nous partageons les responsabilités. Aussi, bien que je tente de me nourrir essentiellement du glanage, l’honnêteté me pousse à écrire qu’il m’arrive parfois d’opter pour la facilité en achetant de quoi manger. Bien que je fasse le maximum pour choisir des produits et des lieux d’achat se rapprochant de mes valeurs, je sais bien qu’il n’est pas toujours évident de transformer à ce point notre mode de vie. Je reste malgré tout convaincue du bien-fondé de la pratique, et j’espère continuer à développer mes connaissances et mes habilités sur le sujet en rencontrant d’autres glaneurs.

Pour conclure, je le redis, pratiquer le dumpster-diving ou le table-diving est un acte militant, tout comme tenter de voyager zéro déchet. Il s’agit d’un choix de consommation alternatif, qui redonne aux produits issus de la terre leur juste place : dans nos assiettes, et non dans nos bennes à ordures.

Join the discussion 10 Comments

  • Barbara dit :

    Un énorme merci a toi.
    Moi je suis parisienne je vie au canada depuis plusieurs années le gaspillage alimentaire sur se continent est énorme, cela me choque de plus en plus. J ai prie la decision de commencer aujourd’hui le glanage des ce soir est t est conseilles vont mettre d une grande utilité. Pour moi l aventure commence ce soir.
    Amicalement barbara.

  • Laura dit :

    Salut Astrid,
    Tu dis que le glanage alimentaire a été un « jeu d’enfant » en Norvège… Nous souhaitons voyager dans les pays nordiques prochainement avec mon compagnon, avec un tout petit budget et nous voulons y vivre de façon très simple au coeur de la nature, dans notre camion aménagé. Nous comptons un peu sur la pêche mais pourquoi pas pratiquer aussi le freeganisme pour survivre, de plus que l’acte militant en lui même correspond bien avec nos convictions. Peux tu nous donner plus de détails sur les bons plans pour trouver de la nourriture invendue en Norvège ?Quels magasins en particulier sont fructueux de denrées ? Les boulangeries étaient-elles accueillantes/généreuses quand tu leur demandais de la nourriture gratuite ?
    Merci beaucoup pour tes astuces et partages d’expériences…
    Laura

    • Salut Laura, super votre projet! Pour avoir pas mal vadrouillé en van à travers l’Europe, je dois dire que les pays scandinaves comptent pour moi parmi les plus faciles avec ce mode de transport : on peut se garer partout sans problème, et bien souvent dans des endroits paradisiaques! Effectivement la vie y est un peu chère, mais en glanant il est très facile de voyager avec presque rien. En Norvège je glanais surtout à l’arrière des supermarchés, et aussi dans les stations-services (le super plan pour avoir des sandwiches, salades et viennoiseries!). Pas testé les boulangeries là-bas, tu me diras du coup^^ Si vous êtes musiciens, j’ai aussi de très bons souvenirs des moments où j’ai joué dans la rue (public très accueillant et généreux). Bon voyage à tous les deux et au plaisir!

  • Huds dit :

    Merci pour cet article! Je suis freegan débutante basée à Paris et je t’avoue que ce n’est pas facile..! D’ailleurs si tu as des adresses ou autres sur Paris, je suis preneuse.

    Je partage cet article sur notre groupe freegan, ca intéressera surement bien du monde!

    • De rien 🙂 Oui je sais bien que ce n’est pas toujours évident de trouver de bons spots, surtout quand on débute. Je ne suis pas de Paris, donc je ne peux pas te donner plus d’infos, mais j’imagine que sur Internet tu devrais trouver ton bonheur, c’est tout de même une grande ville! Merci pour le partage, et au plaisir d’échanger à nouveau avec toi 🙂

  • Betty dit :

    je souhaite citer votre article, pourriez vous me donner le nom de l’auteur svp 🙂

    • Bonjour Betty,

      Je suis l’auteur de ce post (comme de tous les billets que vous pourrez trouver sur ce blog). Mon nom est Astrid Duvillard, mais dans la mesure du possible je préfèrerais la mention Astrid, du blog Histoires de tongs. Je vous laisse voir si cela est possible? Pourriez-vous m’envoyer le lien de votre publication SVP? Merci de l’intérêt que vous portez à ma réflexion, bonne journée à vous, et au plaisir 🙂

      Astrid

  • Sarah dit :

    Super article, très complet et plein de bonnes Infos 🙂 Une bonne technique pour se nourrir sans argent.

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