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Tu rentres quand?

Je sais pas, bientôt…

Mais bientôt, quand?

Ben… Je sais pas…

Non, je ne sais pas. En fait, rentrer d’un tel voyage, croyez-moi, ça fout une sacrée pression. On va me demander d’emblée, alors, c’était comment? Et je n’ai aucune idée de la réponse politiquement correcte à apporter. Dois-je résumer en deux-trois mots, quelque chose comme c’était bien, ouais c’était super! Ou dois-je être plus spécifique, comme j’ai vraiment changée, j’ai appris beaucoup et je n’oublierai jamais. En elles-mêmes, les deux réponses n’apportent pas grand chose, c’est un peu comme répondre à la question ça va? Ça va merci, et toi?

J’aimerais pouvoir laisser mes mots s’envoler, reprendre le fil du voyage depuis le début, en expliquer les galères, les loupés, et m’émerveiller à nouveau devant chaque découverte. Mais qui aura la patience de m’écouter parler, égoïstement et à la première personne, des jours et des nuits durant?

Kenya

Couchsurfing dans un village au Kenya

On va me questionner sur les goûts et les couleurs, est-ce que c’est bien là-bas, tu me conseilles quelle destination, quel est le plus beau pays? Ma réponse va décevoir, je n’en ai aucune idée, je redoute la question. Avec le temps, je me suis aperçue que peu importe le lieu. Ce sont les rencontres que j’ai pu y faire, qui ont imprégné les pages encore vierges de mon carnet de voyage, d’encre indélébile. Et qui suis-je pour m’autoriser à répondre, oh, je te déconseille cet endroit, les gens ne sont pas vraiment accueillants, et puis la ville n’est pas top. Peut-être étais-je fatiguée ce jour-là, ou d’une humeur maussade. En voyage, quel que soit le lieu, nous trouvons ce que nous venons y chercher.

Bien sûr, on va me demander quelle a été ma plus mauvaise expérience, si j’ai eu peur parfois, et quels problèmes j’ai dû surmonter. Parce qu’on s’attend à ça. On s’imagine encore et toujours que parcourir le monde, c’est affronter un nombre incalculable de voyous et de criminels. Ben ouais… Qui ne regarde pas les infos… Je vous en prie, avant de me poser cette question, demandez-moi quelles ont été mes plus belles rencontres, ou à quel point j’ai pu m’émouvoir devant tous ces petits riens qui ont parsemé ma route.

La Boca

Quartier de la Boca, Buenos Aires

De façon très cartésienne, on va s’interroger au sujet de mon planning, pour les mois à venir : et maintenant, tu vas faire quoi??? Et moi, je n’ai peut-être plus envie de programmer ma vie, de regarder glisser, impuissante, les grains de ce sablier, qui n’arrête jamais de déverser son trop-plein. Alors je tenterai cette fois encore de contourner la question, et je répondrai quelque chose comme : je vais me reposer un peu, et puis après je verrai, même si je sais d’ores et déjà qu’après ne sera pas vraiment différent de maintenant.

On va s’inquiéter au sujet de mon logement, et puis surtout, on va me dire oh mon Dieu, mais tu vas devoir tout racheter! Et moi, je suis restée à des milliers de kilomètres de ces préoccupations matérielles. Je vais jongler entre sincérité et évitement, et répondre oui, enfin je vais récupérer quelques trucs, à droite, à gauche… Escamoter adroitement, voilà à quoi va ressembler mon retour. Comment expliquer en deux mots, et sans paraître porteuse de jugement, que tout ça ne m’intéresse plus, mais que j’apprécierai volontiers de venir passer quelques nuits en Couchsurfing, sur ce canapé du salon qui me fait de l’œil…

Singapore

Meeting couchsurfing à Singapour

Et puis, je vais devoir me remettre à la page, fissa, au risque de passer pour une illuminée. Qui est le premier ministre, contre quoi manifeste-t-on ces jours-ci, et surtout, quelles sont les nouvelles dans Plus belle la vie? Et honnêtement, ce retour à la réalité à vitesse grand V ne m’emballe pas vraiment, comparé à toute cette adrénaline qui m’a tenue éveillée des mois durant. J’ai peur de m’ennuyer en retrouvant cette ancienne routine, que j’aimais pourtant. Et je redoute de paraître blasée, de ne pas trouver les mots justes pour expliquer de quelle façon j’ai changé. Pour ne pas sembler prétentieuse, j’imagine me fondre subtilement dans ce décor sans accroc. J’imagine prétendre m’intéresser encore à ces choses qui m’importaient, il y a longtemps, dans cette autre vie.

En rentrant, les premiers temps, je vais dormir dans un vrai lit, chez ma maman probablement, ma couette sera bien chaude, mais ce bivouac dans le désert entre poussière et scorpions va me manquer. Je vais ouvrir la porte de la machine à laver et y glisser, nostalgique, mes vêtements ternis par le soleil. Finis les lavages express dans les stations services, sur les aires d’autoroutes. Je vais manger de vrais repas, et à chaque repas, plus de chakalaka en conserve avec une cuillère pour quatre comme lors de mon récent road trip en Namibie. Je vais réactiver ma ligne téléphonique 3G illimitée haut débit et j’en passe, et me couper de mon environnement, en pensant naïvement être ainsi davantage connectée au monde. Je vais remplir des tonnes de papiers, et toutes sortes de formulaires d’assurances, de banques, de trucs, dont je ne comprendrai pas vraiment le sens, et dont je ne saurai quelle adresse fournir, juste parce qu’il le faut.

Seoul

Banlieue de Séoul, Corée du Sud

Parce qu’il le faut. Ces quelques mots font déjà monter en moi une pointe de stress, que je n’avais pas ressentie depuis plus d’un an. Finie la liberté absolue, la slow life avec l’horloge interne calée sur le cycle solaire, il va me falloir basculer sur le rythme scolaire, mais au fait, elle en est où cette réforme?

Non, je vous le dis, mon retour sera bref. L’unique raison de ma venue sera d’embrasser tendrement mes proches. Et quand j’aurais vu de mes yeux que tous se portent bien, je pourrai repartir de plus belle. La Suède, la Grèce, l’Iran, ou quelque chose comme ça en direction de l’Est.

Parce que ma vie est sur la route maintenant, du moins aussi loin que je puisse me projeter. Parce que l’asphalte m’a rendue accro, d’une façon indescriptible.

L’être humain a deux grands problèmes : le premier est de savoir quand commencer, le second est de savoir quand s’arrêter.

Tiré de Le Zahir, un livre de Paolo Coelho

South Korea

En famille avec Agnès, Séoul, Corée du Sud

Alors, maman, papa, aussi fort que vous pouvez me manquer, ne m’attendez pas ce soir. Je passerai bientôt, mais quand, je ne sais pas.

Je ne pourrai toutefois rester bien longtemps, j’ai rendez-vous avec le monde…

 

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  • Paula dit :

    J’apprécie la dernière phrase de votre article. J’ai découvert pas mal de choses au fil de vos articles, merci ! Le gâteau sur la dernière photo me semble délicieux, lol. En tout cas, ça vous fait de très beaux souvenirs.

  • Aurélie dit :

    Très beau texte, qui fait particulièrement écho en moi, alors que j’ai repris une « vie sédentaire » depuis 6 mois, après un deuxième grand voyage. Je suis rentrée donc, et mon cœur balance entre ici et là-bas… Six mois après mon retour, j’ai déjà envie de reprendre la route, mais je ne sais pas encore bien comment faire pour tout concilier. Peut-être commencer par me dire que je ne pourrai jamais tout concilier, d’ailleurs 😉

  • Céline dit :

    Les retours me semblent toujours tellement plus difficiles que les départs … pour certains c’est l’inconnu qui fait peur, pour d’autres, le connu.
    Très bel article, très beaux mots pour parler de cette angoisse pas vraiment belle : comment avouer aux sédentaires qu’on préfère mettre 3 jours pour parcourir 200 bornes plutôt que de savoir que le RER A passe toutes les 6 minutes ? Comment expliquer aux gens qu’on aime, que la distance n’affecte en rien notre amour et que si l’on part encore et toujours ce n’est pas pour fuir, c’est juste parce que le voyage est une drogue et qu’on en est devenu accro ?

    J’imagine qu’à toi aussi on a beaucoup parlé du « courage » de partir. Dans mon cas, je préfèrerai qu’on me parle du « courage » de rentrer … (http://voyagesduneplume.com/2015/01/28/du-courage/)

    Que tu sois en France pour quelques heures ou quelques mois, je te souhaite un bon retour et un meilleur départ encore ! 🙂

    • Salut Céline,

      Merci pour tes quelques mots qui complètent parfaitement ma pensée. Je m’en vais de ce pas lire ton article dont le titre seul suffit à me parler… Je te souhaite bonne route, et plein de bonnes choses pour cette nouvelle année 🙂

  • Garrisson dit :

    Bnjour, je me permets de te dire « tu » tellement j’ai la sensation de te connaître… J’ai suivi tes derniers voyages et je me suis surprise à attendre la suite… Un peu comme si je voyageais à tes côtés. J’ai rêvé avec toi, j’ai eu un peu peur pour toi (quand les nouvelles étaient plus rares), je t’ai beaucoup enviée… Vis tes rêves et continues tes rencontres ( moi je n’aurais jamais le lâcher prise suffisant pour m’autoriser à faire cela). Bon retour et à bientôt. Annelehloo

    • Salut Annelehloo 🙂 Je te tutoie aussi hein… Un grand merci à toi pour ces gentils mots qui me touchent beaucoup et me vont droit au cœur. C’est une grande joie pour moi d’écrire ces quelques récits, au fil de mes aventures, et je suis d’autant plus heureuse de savoir qu’ils plaisent à certains. Tu sais, le lâcher prise vient au fil des mois, j’étais plutôt trouillarde à l’époque. Et puis, on ne peut pas tous avoir les mêmes rêves, ou le même goût de l’aventure. Je crois vraiment que le plus important est d’avoir une passion, quelle qu’elle soit, et d’aller au bout de ses envies. Pas besoin d’aller au bout du monde pour vivre de grands frissons, notre pays à lui seul regorge de merveilles, et de belles personnes contrairement à ce que l’on entend souvent. Je te souhaite de vivre tes rêves également, qu’importe la route que tu prendras à compter que ce soit celle que tu choisis 🙂 Bon vent à toi, bises

  • Marion Fort dit :

    Je découvre ton blog via Hellocoton, et tout de suite, la mention « tour du monde » fait tilt. Je me suis jetée sur ton site pour en lire davantage, et je n’ai pas été déçue 😉
    Un tour du monde, pour mon chéri et moi, ce ne sera pas avant 4 à 5 ans (car notre plan de bataille niveau financier ne nous permettra pas de partir plus tôt), mais on a commencé les économies mensuelles, les petits sacrifices quotidiens, la préparation physique, et surtout, les rêves et les tracés imaginaires sur les planisphères ainsi que les lectures de blogs de voyageurs qui ont déjà tenté l’aventure.
    Et plus on en lit, plus on a envie de foncer !
    Objectif 2020 : tour du monde !
    Merci pour cette petite évasion via ton site ^^
    A très vite !
    Marion

    • Coucou Marion, je te souhaite à toi et ton chéri de réaliser cette belle aventure qui en vaut la peine! Que ce soit aujourd’hui ou en 2020, peu importe, rêvez, rêvez, et vivez votre rêve : vous en prendrez plein les yeux et en sortirez grandis… Bonne année à vous deux!

  • Julie d'Harlingue dit :

    Hello !

    J’ai donc suivi ton tour du monde à travers ce blog pendant 1 an.. Et t’as vendu du rêve, et je comprends tout à fait que tu sois dans cet état d’esprit. Quand tu seras prête, bien rentrée dans ta tête et reposée, on pourra aller boire un verre sur Orleans ? (et je serai vraiment prête à t’écouter parler pendant des heures et des heures ) !

    Bon retour, (tu verras, c’est pas si terrible la vie en France 😉 )

    Julie, la journaliste de Forum

  • Mali dit :

    Keep calm, ça va aller 🙂 au pire tu expliqueras aux gens, que t’es encore dans le « mood », que t’as pas toutes les réponses et puis parle leur de suite de ce que tu as aimé, partage avec eux toutes les bonnes choses que tu as pu vivre 🙂

  • J’ai déjà vécu un retour, après un Service Volontaire Européen d’1 an en Italie, et je n’étais pas préparée du tout à ce choc-là. Je pensais que penser au retour cette fois-ci, après 1 an de voyage, serait plus serein, car justement, je savais à quoi m’attendre, que c’est une phase normale. Mais non, cela m’effraie encore plus. Je sais qu’il faut prendre du temps en rentrant, pour se réadapter. Mais tout est flou.
    Alors j’en parle. Je dis à mes proches, à mes amis, cette peur et ce flou. Et ça va mieux. Je l’appréhende. Je sais que je repartirai, je sais aussi que j’ai envie de profiter quelques temps de ma vie à Bruxelles. Et puis on verra.
    Courage pour le retour.

  • Hélène dit :

    Il était redouté ce billet. Il y a forcément un retour après un voyage…
    Après mon année à l’étranger, ça a été le plus dur, pas du tout préparée à ça. Pourtant aujourd’hui ma vie sédentaire me plait, la liberté c’est aussi choisir de se reconvertir, de choisir un métier qui me plait, une ville et un entourage, je pense…
    Parfois, j’ai l’envie de tout plaquer à nouveau, puis je prends du recul, pour reprendre un de tes billets, je suis quand même chanceuse de la vie que j’ai…
    Mais parfois l’envie de voyages au long court reprend le dessus, mais c’est exactement ce « retour » qui me freine :/
    Bon courage pour la suite ! 🙂

  • Tes mots résonnent. Cet article devait arriver un jour… Moi je pense toujours à ça comme à une barrière devant le départ (un départ de plusieurs mois, voire d’un an comme toi). Je regarde les collègues qui l’ont fait avec admiration et incrédulité.
    « Ca sera trop dur de rentrer… Comment reprendre la routine, le travail, la vie à 100 000 à l’heure, celle où on n’a le temps de ne profiter d’aucun instant? »

    J’ai vécu la difficulté de partager les expériences à mon retour d’Australie, de mes 5 mois de stage. « Comment c’était? » « Super! ». Que dire d’autre? Comment raconter une toute autre vie (et encore, c’était un pays occidental)? Seuls mes proches ont entendu des anecdotes. Tout le reste, c’est en moi… il y aurait tant à dire.
    J’ai tout le temps envie d’écrire mais je ne prends pas le temps -considérable selon moi.

    Je suis sûre que tu vas trouver ta voie, maintenant que tu as plus confiance en tes forces. Donne du temps au temps… et n’aie pas peur!

    • Coucou! Merci pour ce message! Dis moi alors, comment tu as pu gérer ton retour? Un conseil en particulier? Bises 🙂

      • Alors, mon conseil ce serait de faire les choses à ton rythme (haha)… ne sachant trop que faire quand on me posait des questions et que j’aurais eu envie de parler pendant des heures, je choisissais une expérience en particulier, une anecdote.
        Tu vois tout de suite si les gens ont envie de t’écouter et d’échanger, ou pas. J’avoue que la plupart du temps, ils ne l’avaient pas… mais parfois, quand même, ça passe bien. Ca dépend des gens, des moments.
        Et puis comme je te disais, j’écris… j’écris pour moi. Le fait de se replonger dans les photos, d’en faire une sélection et un album, ça permet de partager aussi beaucoup plus facilement: au lieu de milliers de photos, tu te retrouves avec quelques centaines, et c’est déjà beaucoup moins décourageant pour les amis curieux.
        Quant à la réadaptation au rythme européen, je n’ai malheureusement pas de conseils :(. J’ai été très fatiguée par le rythme de travail et j’ai détesté Paris pendant longtemps… j’imagine que peut-être, s’évader un peu en sortant des villes, en allant profiter des merveilles qui se trouvent aussi en France (forêts magnifiques, grands espaces, mers, etc), ça aide à apprécier quand même le retour!
        Bises et profite de l’instant présent 🙂

  • Gwen dit :

    On peut rentrer, apprécier les moments de partage avec l’entourage, se laisser porter par leur quotidien… mais arrive un moment où il faut se rendre à l’évidence : on n’y est pas à notre place, il n’y a pas d’autre choix que de retourner sur la route. J’envie parfois ceux qui réussissent reprendre une vie sédentaire après de longs voyages ; mais quand je lis des gens comme toi, je me dis que finalement je suis pas mécontente de ne pas en être capable… Et qu’il est beau, ce rendez-vous avec le monde.
    Merci pour ce texte si bien écrit qui me rappelle pourquoi je (re)pars.

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