Panier

Après notre virée haute en couleurs à trois dans le van autour de la Slovénie, Camille, ma meilleure amie, nous quitte. José et moi reprenons la route, en direction de la Croatie.

Comme à leur habitude depuis que nous sommes sur les bords de l’Adriatique et plus généralement dans les Balkans, les douaniers n’y vont pas de main morte avec nous. Ce n’est pourtant pas faute de rester polis et conciliants. Ne trouvant aucun produit stupéfiants, et pourtant persuadés que nous sommes consommateurs, nous essuyons la colère des gardes-frontière n’acceptant pas de rester bredouilles. Fouille du van en profondeur, palpations corporelles laborieuses – et en public, merci bien – les autorités locales doivent se rendre à l’évidence, nous n’avons rien. Nous rendant nos passeports avec virulence, Simplet et Grincheux nous laissent enfin franchir la barrière.

Un peu par hasard, nous passons la nuit au beau milieu de nulle part, dans un village fantôme baptisé Črni Potok. L’ambiance qui règne est lugubre, nous pourrions mettre nos mains à couper que ces maisons vides d’hommes n’en sont pas moins habitées de spectres dont nous pourrions presque entendre les chuchotements. Il faut dire, nous sommes à quelques centaines de mètres de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine. Il y a un peu plus de deux décennies, la région a essuyé une guerre d’une rare violence. Comme des cicatrices qui ne s’effaceront pas, les tristes stigmates de l’Histoire balkanique sont aujourd’hui encore bien visibles, notamment sur les murs des bâtisses, criblés de balles.

C’est donc comme seuls au monde que nous tentons de trouver le sommeil. Une fois n’est pas coutume, la police locale nous sort du lit au petit matin, étonnée de nous trouver là. Nous tentons d’expliquer que nous nous rendons dans le parc national des lacs de Pitvice, mais comprenons vite que nous n’avons pas affaire à de fins géographes. Vous allez à Split? Dites-moi que vous allez à Split? Donc, vous partez aujourd’hui à Split??? Nous finissons par capituler, et expliquons que nous sommes effectivement en route pour… Split. Où avions-nous la tête? Sur cette bonne réponse, la police s’en va. Drôle de contrôle. Drôle de vie que la vie dans un van d’ailleurs!

Quelques minutes plus tard, José – qui se lavait les dents dans la rue – m’appelle et m’explique qu’un vieil homme, aveugle, se trouve très perturbé par la présence du van sur son chemin habituel. Črni Potok n’était donc pas si déserte que cela! Je lui prends la main pour l’accompagner autour du véhicule, lui explique en deux mots que nous sommes touristes, et de fil en aiguille nous nous retrouvons chez lui, en compagnie de son adorable femme. Anna et Yohann, ces deux retraités, nous invitent à prendre le petit déjeuner, sans que nous n’ayons le temps de dire non. D’un grand sourire, on nous verse deux verres de rakia, une gnôle locale, sans aucune pitié pour nos estomacs encore à jeun. Euh, et bien hvala (merci)… Nous avalons d’un trait nos tord-boyaux, et sommes ravis de goûter ensuite à un bon café chaud, accompagnés de beignets encore brûlants. La barrière de la langue ne fait aucun obstacle à nos éclats de rire spontanés, et c’est particulièrement touchés que nous quittons nos deux bienfaiteurs du jour.

Sur la route, dans la Vallée de la vie

Sur la route, dans la Vallée de la vie

Notre chemin nous mène ensuite à la découverte de la Villa Izvor, gigantesque résidence enfouie au fond des bois, qui appartenait autrefois au puissant dictateur Tito. Cette nouvelle expérience d’exploration urbaine nous émeut plus que d’habitude : la décadence du lieu est à la hauteur du personnage et de l’Histoire qu’il aura marquée (voir la galerie photo de la villa de Tito en Croatie).

Sur la route de Plitvice, nous traversons par hasard Rastoke, un village surprenant. Les maisons se dressent comme par magie au dessus d’immenses chutes d’eau, traversant les fondations comme si de rien n’était. Nous sommes d’autant plus admiratifs devant toute la beauté naturelle qu’offre la Croatie lorsque nous pénétrons dans le parc. Malheureusement, ce n’est pas la meilleure saison, et plusieurs accès sont actuellement fermés. Le tourisme est en berne à cette époque de l’année, ce qui d’un autre côté nous permet de profiter pleinement des quelques sentiers accessibles, sans nous retrouver noyés dans une foule de randonneurs. De ma vie, j’ai rarement contemplé d’aussi beaux lacs. L’eau y est d’un turquoise dont je ne connais nul autre égal sur la planète, et c’est envoûtés que nous marchons toute la journée, de cascades en cascades. Lors d’une pause, un groupe de jeunes croates relativement éméchés me tend une bouteille de rakia. À trois reprises, je dois faire honneur à l’invitation, et c’est déjà bien échauffée que je refuse poliment le quatrième verre. La rakia serait donc synonyme de bienvenue en Croatie?

Promenade autour des lacs du parc national de Plitvice

Promenade autour des lacs du parc national de Plitvice

Ce ne sont pas les rencontres marquantes qui manquent à notre voyage. Un peu plus tard dans la journée, nous effectuons une nouvelle session URBEX, au sein d’un complexe militaire aérien souterrain désaffecté. Il s’agit là de la plus grande base qu’ait connu l’Ex-Yougoslavie, mais également l’une des plus grandes d’Europe. Un promeneur d’un âge avancé se décide à entreprendre, pour notre plus grand plaisir, une visite guidée. Enfin également pour le sien. L’homme a beau avoir l’âge de mon grand-père, il n’y va pas de main morte avec mes formes féminines, lui rappelant sûrement de vieux souvenirs d’antan. Entre politesse, gêne, et fermeté, mon cœur balance. Ce qui n’est pas sans amuser José. Toutefois, nous avons le réel privilège de visiter les lieux en compagnie d’un ancien ayant vécu à l’époque de la Yougoslavie puis de son éclatement, et même si nous ne comprenons pas tous ses mots, nous saisissons sans mal que les temps furent durs et qu’aujourd’hui encore la population reste profondément marquée.

L'entrée de l'un des tunnels de la base

L’entrée de l’un des tunnels de la base, terrée dans la montagne

Après toutes ces émotions, nous décidons de regagner la côte Adriatique, et menons le van aménagé jusqu’à Zadar, d’une traite. En voyage, il y a ces sensations qui ne se partagent pas. Égoïstement, nous croquons ces paysages sinueux, qui s’éteignent sous le soleil couchant, de nos yeux toujours plus affamés. En voyage, il y a ces instants où le monde nous appartient. Entre deux cigarettes, nous roulons sous la lune, ronde comme jamais. Nous refaisons le monde, sans pour autant n’avoir à parler. Nos cheminements sont intérieurs, se croisent parfois, s’éloignent ensuite, pour mieux se retrouver, un peu plus loin. En voyage, il y a cette vie qui, loin de nous échapper, nous remplit chaque seconde d’émotions aussi fortes que contradictoires.

Ça balançait, ça nous allait. La pureté de la route. Au centre du highway, le ruban blanc se déroulait, notre pneu avant gauche y était rivé, comme l’aiguille au microsillon.

Jack Kerouac, Sur la route

Et ce soir, sur cet immense chapelet d’asphalte qui ondule sous nos rêves éveillés, je prie pour que cette bonne étoile continue de nous accompagner encore un peu, pour qu’elle nous offre ce petit bout de chemin de plus, en compagnie des siennes, sous ce ciel qui après la tempête, redevient clément.

Pour aller plus loin, vous pouvez lire la suite de mon voyage en Croatie, ou retrouver des réflexions liées à ma vie nomade ainsi que l’intégralité de mes récits de voyage, et tous écrits de mon tour du monde

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