J’ai voyagé au Royaume du Swaziland il y a quelques mois, durant mon tour du monde. J’étais hébergée par Chris, un anglais, puis Alex, un canadien, tous deux couchsurfers et expatriés en Afrique Australe depuis longtemps. J’ai fréquenté à plusieurs reprises leurs cercles d’amis, tous employés par des ONG internationales (principalement dans la lutte contre le sida).
J’ai écouté avec attention leurs histoires captivantes (et effrayantes) au sujet du roi. Des récits totalement incroyables, qui semblaient relever du mythe et non de la réalité. J’avais toutefois pris des notes au fil de leur narration, dans mon petit carnet de bord, mais avant d’écrire sur le sujet, je me devais de vérifier leurs propos si tranchés. Tout cela me semblait trop extravagant pour être réel. J’ai depuis lu énormément sur Mswati III et ses frasques et malheureusement, il apparaît que les fantasmes du despote ont dépassé de loin les contes les plus sordides.
Le contexte de la société swazie :
Le Swaziland, ancienne colonie britannique, est la dernière monarchie absolue d’Afrique. Le roi détient les pleins pouvoirs, et les partis politiques sont interdits (ils existent sous la forme associative mais n’ont aucun pouvoir politique). Par ailleurs, le pays souffre d’un fort taux de chômage : 34% , et l’espérance de vie est l’une des plus faibles au monde : 49 ans. Enfin, les deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, et 10% de la population détient 50% des richesses du pays.
Sa situation géographique le rend très dépendant de l’Afrique du Sud où il est enclavé. Seule autre frontière, quelques kilomètres longeant le Mozambique. Dans cette région, le climat n’est pas favorable aux récoltes, et lors des années les plus sèches le peuple souffre de la famine. Malgré tout, l’agriculture reste un secteur important de l’économie, mais les productions (maïs…) ne suffisent pas à nourrir la totalité de la population.
Un héritage royal qui suit son court :
Mswati III est le 67ème fils du roi Sobhuza II, rien que ça. Son père était à la tête d’une grande famille – comment le dire autrement – avec tout de même 200 enfants au total pour 70 épouses différentes. On parle même de 600 enfants pour 112 femmes, selon les chiffres.
Le prince Mswati III lui succéda au pouvoir en 1986, à l’âge de dix-huit ans. Depuis, c’est au sommet d’une dictature déguisée qu’il maintient son peuple dans une pauvreté des plus sordides. Et pas de quoi s’inquiéter pour la suite, la relève est déjà prévue, vingt-quatre princes et princesses comptent bien honorer leur ascendance royale.
Sois belle (et vierge) et tais-toi :
Dans ce pays pourtant très chrétien, se déroule chaque année la fastueuse cérémonie des roseaux, une tradition ancestrale aussi appelée Umhlanga. Entre 50000 et 80000 femmes aux seins nus viennent alors offrir leur danse au roi, tout en célébrant leur virginité. Ces adolescentes coupent à cette occasion des roseaux, qu’elles donnent en offrande à la reine, afin de rebâtir symboliquement la résidence royale. Les écoles sont fermées en ce jour de fête nationale, car les vierges souvent très jeunes ne doivent pas louper l’évènement.
Entendons-nous bien, de nombreuses cultures n’ont pas le même rapport que nous avec la nudité. Ce n’est pas parce qu’une façon de vivre est différente de la nôtre qu’elle est forcément mauvaise (ou pire : à sauver). La critique se porte bien sur l’arrogance du souverain et la misère au sein de laquelle il plonge son royaume. Il faut dire que le roi ne redoute pas les on-dit et voit les choses en grand : la fête des roseaux coûte au contribuable la modique somme de 13 millions d’euros. Il pourrait se féliciter que cela encourage le commerce local, à condition de garder les yeux fermés au sujet du tourisme sexuel et ses ravages. Il faut aussi mettre de côté toute la débauche qui a lieu sur les campements alentours, les jeunes filles échappant l’espace d’une semaine à la surveillance parentale. Et toutes les rencontres ont lieu sans préservatif, puisque l’Umlhanga a pour but de célèbrer la virginité.
Le roi peut choisir une femme parmi toutes ces prétendantes, puis l’épouser. Il est bien sûr interdit de refuser toute demande en mariage royale. Ainsi, une quatorzième femme âgée de dix-neuf ans rejoignait son harem en septembre 2014 (ou quinzième, car le mystère subsiste). Ses deux dernières fiancées n’avaient elles que seize et dix-sept ans lors des annonces officielles, en 2004 et 2005.
Il faut bien comprendre qu’avec un tel taux de pauvreté, les swazies espèrent toutes devenir l’élue qui rejoindra le palais (ou l’un des treize palais). Il est juste de préférer le grand luxe à la faim, et la cérémonie se transforme vite en grande loterie. Et de toutes manières, les familles récalcitrantes doivent en payer le prix : une chèvre ou une vache.
Comme retour de bâton, certaines de ses épouses sont au cœur de scandales sexuels dont Mswati III se serait bien passé. Enfin, on imagine qu’il s’en remettra, et qu’il continuera de régner d’une main de fer sur le Royaume, depuis M’babane.
Les dérives financières d’un chef :
Dans ce petit pays frappé par la crise, le roi Mwsati III ne se laisse pas abattre et profite de son jet privé comme il se doit. Quelques années en arrière, pour son 40ème anniversaire, il se faisait livrer 41 BMW, ce qui lui valu la réputation de faire honte à l’Afrique. Son goût prononcé et assumé pour l’industrie du luxe (Rolls-Royce, Mercedes Maybach à 500000$ et compagnie) contraste fortement avec la faim dont souffrent ses sujets, notamment pendant les années de grande sécheresse.
Ses reines aussi, il les gâte. En 2012, une escapade shopping à Las Vegas fut l’occasion pour trois d’entre elles de dépenser 4,1 millions de dollars, alors que peu de temps avant, il en envoyait huit autres faire du shopping à Dubaï.
En 2009, ses réserves personnelles était estimés à 200 000 000$, alors que la même année le PIB/habitant était de 3045$. En 2012, Forbes le classait 15ème plus grande fortune du monde. Ce n’est pas comme si 70% de la population vivait avait moins de 2$/jour (ah, si en fait).
Les solutions du roi aux problèmes du peuple :
Les ONG grincent des dents : le Swaziland connaît le plus fort taux de prévalence du sida parmi la population adulte au monde : 25,9%. Pour remédier à ce fléau, le roi interdit le port de la mini-jupe, des vêtements moulants et du pantalon taille-basse (ce qui fera immanquablement baisser le taux de viol d’après lui) mais n’autorise pas la promotion du préservatif ni de la contraception.
Pour les contrevenantes un peu trop sexys, 8000€ d’amende et six mois de prison suffiront à leur faire comprendre la leçon de morale : ne t’habilles pas comme ça, tu facilites les agressions sexuelles. D’un autre côté, dans un état qui n’autorise pas aux femmes de faire un emprunt bancaire ni de posséder un bien immobilier, que peuvent-elles bien attendre des autorités?
Peut-être un coup de pouce financier, permettant aux jeunes swazies de ne pas tomber dans la prostitution (moyen rapide pour pouvoir se nourrir), et ainsi de ne pas être atteintes par le virus du sida. Environ 14€/mois contre la promesse de rester vierge, cela représente déjà une somme considérable. C’est pourtant à se demander si le roi n’entretient pas là son vivier, où il pourra piocher aisément de nouvelles vierges en bonne santé, pour pimenter son harem.
Les aberrations vont même plus loin dans la commune de Siteki. Les autorités ont interdit aux couples de s’embrasser trop fougueusement dans la rue. Une contravention de 9€ saura clamer les ardeurs des amoureux les plus passionnés, bien que culturellement les baisers en public ne soient pas une pratique courante.
Un avenir sombre?
Si le roi s’obstine à détourner les dons humanitaires, destinés à nourrir son peuple, l’avenir de la population semble bien incertain. Dans ce petit royaume au bord de la faillite, où contestations sociales et opposition politique sont synonymes de prison voire de torture, on imagine difficilement une issue optimiste.
Pour calmer les quelques courageux qui osent encore élever leur voix, le gouvernement autorise parfois des forums de discussion ou Sibaya : de la poudre aux yeux qui ne permet aucune prise de décision politique.
Quant aux médias, ils appartiennent au Ministère de l’information. Autant dire que la propagande est de rigueur, dans cette dictature déguisée et méconnue.
Hostile à toute réforme mettant en danger sa monarchie juteuse, Mswati III est suffisamment puissant pour jouir d’une longue vie au soleil, entre luxe, volupté et débauche. L’Histoire pourra toutefois lui attribuer une triste réussite : celle d’avoir allié avec cynisme traditions ancestrales et modernité. Un avenir pas si sombre donc pour un homme qui, d’une main de Dieu, continuera de décider quelle élue repêcher de la misère qu’il entretient, afin de lui assurer une place de choix au palais.
Ce contraste entre opulence et dénuement m’a poussée dernièrement à réfléchir à la question suivante : voyageurs, faut-il boycotter les dictatures? N’hésitez pas à lire l’article, et à partager votre avis avec les autres membres du débat! Par ailleurs, vous pouvez également lire mon article pour voyager en Afrique seul et en sac à dos, pour plus d’informations sur le sujet!
Enfin, on entend souvent parler de l’Afrique de façon assez sombre : pauvreté, maladies, corruption… et nous passons souvent ainsi bien à côté de l’essentiel. Certes, ce continent souffre de nombreux fléaux. Mais cela ne représente en rien l’étendue de la richesse de cette terre, de ces nations. Loin de former un tout uniforme, chacune d’entre elles renferme ses propres trésors, que j’évoque d’ailleurs dans un article démystifiant cette Afrique, ou plutôt ces Afriques…
Salut Astrid,
Merci pour votre article aussi intéressant! J’ai d’abord admiré la rubrique basée sur la culture swazie, j’ai ensuite admiré celle des « conseils aux voyageurs » puisque je songe à voyager un jour.
En effet, c’est enchantant de nous faire parvenir les particularités culturelles de différents pays car elles permettent au voyageur de savoir comment se tenir dans le pays concerné, surtout grâce aux conseils que vous mettez au grand jour. Je proposerais que vs partagiez avec ns l’expérience que vs avez déjà vécue, en ns parlant des particularités des pays(que vs avez visités ou dont vs avez l’information) de divers continents pour mieux ns ouvrir au cosmopolitisme.
Du reste, je vs remercie et vs encourage.
Bonjour Rénovat, je vous remercie pour votre message et je ferai de mon mieux! Bonne continuation à vous 🙂
Je me souviens d’avoir lu un article sur le Swaziland il y a très longtemps, au lycée je crois. Et à l’époque, je n’avais pas vraiment cru ce que j’avais lu (à peu près ce que tu décris dans ton article), ça paraissait tellement fou de vivre dans un luxe pareil alors que la population est quant à elle dans la pauvreté totale…
Coucou Lucie! C’est vrai que tout cela paraît incroyable! J’ai beaucoup lu sur le sujet avant de publier cet article, tellement je ne parvenais pas à y croire, mais malheureusement tout est bien vrai…
Bonne route à toi 🙂
Super intéressant cet article. Je n’avais jamais entendu parler de cette culture, très différente de la notre… Passionnant !
Très différente, en effet! 🙂 Enjoy Liverpool!
j’ai relu deux fois cet article
est ce vraiment possible à notre époque
je suis choqué et révolté
merci d’avoir témoigné
bisous
Choquant, c’est le mot…! Bises 🙂
Salut! Bravo pour cet article vraiment intéressant et effrayant… Je découvre ton blog, c’est le second article que je lis et sincèrement, j’aime vraiment ton style d’écriture et les réflexions qui s’en émanent. Une mention spéciale pour ta conclusion, avec laquelle je suis entièrement d’accord et qu’il est important de rappeler : nous autres occidentaux avons tendance à généraliser l’Afrique, comme si elle n’était qu’un pays… D’ailleurs, je vois que tu as écrit un article sur le sujet, j’y vais!
Salut Audrey,
Merci pour tes compliments, ça me touche beaucoup…
Oui comme tu le dis, l’Afrique est bien plus complexe qu’on ne le pense, et bien plus riche qu’on ne l’imagine aussi d’ailleurs. Les idées reçues ne reflètent pas vraiment la réalité, tiens donc? 🙂
Bonne route à toi!
Article très intéressant et très bien écrit. J’avais déjà entendu parler de ce pays mais je dois avouer que ce qu’on en apprend est aberrant, encore des fossés immenses entre dirigeants et peuple, ainsi que le sida. En tant que petite voyageuse, je me dis qu’il ne faut pas forcément boycotter les dictatures, car on passerait à côté de leurs habitants, punis « pour rien ». Après il ne faut pas que ça devienne un tourisme de la misère mais puisse permettre une réflexion, ou donner des idées pour faire évoluer les choses.
L’Afrique m’a toujours attirée, n’y étant jamais allée je suis pourtant sure de sa diversité et de ses richesses. De toute façons c’est un continent tellement immense.
Salut!
Oui c’est vraiment honteux à notre époque qu’il puisse toujours exister de tels écarts entre les dirigeants et la population. Mais comme tu le dis si bien, boycotter ces états ne ferait qu’appauvrir le peuple un peu plus. Avec un peu de bon sens et un projet bien construit, je crois fermement que chacun peut retirer un peu de positif d’un tel voyage, d’une telle rencontre.
Bon vent 🙂